Source : Xerfi Canal – 30 mai 2022
L’auteur le précise d’emblée : il s’agit d’un billet libéral. La question du partage de la valeur étant un sujet éminemment politique, on pourra donc discuter certaines affirmations, notamment sur la fameuse question : est-ce que le versement de dividendes aux actionnaires se fait au détriment des salariés et/ou de l’investissement ?
Pour y répondre concernant les salaires, le « camembert » de l’institut Molinaro ne suffit pas : il faut le compléter par une mise en perspective historique sur la part des salaires dans la valeur ajoutée, rappelée dans ce billet du bloc-notes de la Banque de France, qui montre une tendance à la baisse dans l’industrie (activité à forte intensité capitalistique), à la hausse dans les services (où l’essentiel des actifs de l’entreprise est constitué par son capital humain), ce qui d’ailleurs ne signifie pas que les salaires sont plus généreux ou progressent plus dans les services que dans l’industrie : tout dépend des services, de la rareté des compétences nécessaires, du taux de marge que l’entreprise peut dégager – donc aussi de l’environnement concurrentiel – et des gains de productivité qu’il est possible d’y réaliser (qui peuvent s’avérer impossibles à dégager, l’informatisation étant loin de produire les effets qu’avait produits en leur temps l’avènement des énergies fossiles ou électrique dans l’industrie ou dans l’agriculture). Ce que l’on peut constater dans l’industrie, c’est que les gains de productivité sont de moins en moins partagés avec les salariés et de plus en plus restitués aux actionnaires, tandis que dans les services, la pression ne cesse de s’accroître sur les salariés pour dégager davantage de marge, et potentiellement de dividendes, quitte à frauder à la fois sur le code du travail, la fiscalité et les aides de l’État, comme l’a révélé l’affaire Orpea, particulièrement dans les activités où les gains de productivité sont en réalité impossibles ou très limités : aller plus vite pour pratiquer un soin débouche in-fine sur la maltraitance des patients.
On peut en revanche adhérer sans réserve au titre « dividende salariés : on mélange tout ».
D’abord parce que la mesure proposée (conditionner le versement de dividendes à l’existence d’un accord de participation) est de faible impact :
- la participation est déjà obligatoire dans toutes les entreprises de + de 50 salariés ;
- disposer d’un accord de participation ne veut pas forcément dire verser une participation : on pourrait donc certaines années verser des dividendes sans verser de participation aux salariés ;
- la formule légale de la participation n’est que faiblement redistributrice, et, se référant notamment au bénéfice net de l’entreprise, toute optimisation fiscale peut avoir pour effet de réduire la participation des salariés;
- comme déjà dit dans notre précédent billet sur le sujet, les budgets consacrés à la participation et à l’ensemble des rémunérations variables (intéressement, abondements pour versement dans les fonds d’épargne salariale, primes…) sont de fait intégrés dans les enveloppes globales consacrées à la rétribution des personnels, et tendent in fine à diminuer la part du salaire fixe, faisant porter un risque économique croissant sur les salariés.
Ensuite, l’utilisation du mot « dividende » pour parler de participation sème la confusion, puisque les salariés peuvent aussi toucher de véritables dividendes s’ils sont actionnaires de l’entreprise. Nos « élites » peuvent bien se gausser en permanence de la soi-disant « inculture économique des Français » : ils sont les premiers à brouiller les pistes, tant par l’utilisation de vocables ou abréviations incompréhensibles même pour parler de mécanismes simples, qu’ici par l’utilisation d’un terme impropre pour désigner la participation des salariés aux bénéfices.
Le reste de la vidéo, qui explique très bien les théories et mécanismes sur la valeur restituée aux actionnaires, met d’ailleurs cette confusion entretenue en évidence.
Le dividende, c’est une partie de la rémunération du capital engagé par les actionnaires dans l’entreprise, du risque qu’ils prennent en engageant leurs fonds dans l’entreprise, délivrée au fil de l’eau. La participation, comme son nom l’indique, c’est une participation de tous les salariés au bénéfice qu’ils ont contribué à générer par leur travail tout au long de l’année. Ce qui est mis en jeu et rémunéré dans les deux cas n’est pas de même nature, et ne saurait être confondu sous le même vocable. Faute de quoi, il devient impossible de réfléchir plus avant, que ce soit en termes pratiques ou en termes philosophiques.